Entretien sur la communication autour de la mode durable avec Florence Touzé, responsable du programme Communication de marque à Audencia Sciencescom, titulaire de la Chaire RSE Audencia et membre du comité de mission de l’agence B Side
Florence Touzé : J’observe une révolution passionnante. Le secteur de la mode s’est réveillé et met désormais les bouchées doubles pour rattraper son retard. L’effondrement du Rana Plaza à Savar en 2013 a été un terrible déclencheur mais il a fallu attendre 2019 pour que les changements concrets et à grande échelle soient visibles.
Par ailleurs, 2019, c’est aussi la question du climat qui marque le virage et la prise de conscience de l’opinion publique au niveau mondial. La jeune génération, particulièrement sensible à cette question, interpelle le secteur.
Aucun acteur ne peut plus passer à côté du sujet : des marques puissantes se réinventent et font réfléchir la filière, de petites marques “RSE natives” expérimentent de nouveaux business models, en travaillant par exemple avec leurs communautés pour faire le bon produit au bon moment.
Au sein de notre Chaire RSE, nous accompagnons, au quotidien, les entreprises qui souhaitent se transformer et communiquer leur démarche responsable. Il y a 2 ans, nous étions dans la pédagogie et nous expliquions que la RSE est positive et génératrice de business. Aujourd’hui les mentalités ont évolué et les questions sont plus précises. Les besoins sont techniques et tournés vers les ressources humaines. La communication reste un point de fort questionnement.
F.T. : Les collaborateurs sont à l’origine de nouveaux projets et participent à la mutation des entreprises. Ils sont à la recherche de sens et de valeurs. Une entreprise qui promet que la mission confiée contribuera à créer quelque chose de positif dont ils vont être fiers, ça n’a pas de prix.
Mais attention, rien ne peut se faire sans un dirigeant qui prend le sujet à bras le corps et qui en fait son cheval de bataille. Il doit être un guide. Changer de posture est plus simple pour les marques de mode qui se créent aujourd’hui, c’est même leur raison d’être. À l’inverse, pour les marques construites sur un ancien modèle, le dirigeant doit accepter de pivoter.
La transformation est d’autant plus complexe lorsque le groupe possède des marques aux positionnements différents, avec des organisations différentes et des filières différentes. Avoir un discours corporate qui rassemble alors ses différentes marques devient une vraie problématique de communication.
Le Groupe Eram est un très bel exemple de mutation. Quel chemin parcouru ! Quatre marques nommées aux trophées de la mode circulaire, c’est très positif. La recette du succès ? La mobilisation et la force du choix managérial, de fortes convictions en interne, la place stratégique de la communication dans toute la politique de changement et puis la possibilité d’expérimenter. Le lâcher prise est important et inhérent à la transformation : il faut accepter de communiquer même s’il reste du chemin à parcourir.
F.T. : Je pense que les marques sont de plus en plus sincères. Il peut y avoir des maladresses liées à trop d’enthousiasme, ce qui amène à des erreurs techniques de prise de parole mais pas un à réel manque de sincérité.
Mais il ne faut pas tout attendre des marques, le consommateur a aussi un rôle à jouer et doit réinterroger ses pratiques, remettre en cause ses croyances. Par exemple, accepter que certains produits soient parfois mieux fabriqués en Asie qu’en Europe. Il faut petit à petit changer son modèle personnel et regarder la mode de façon systémique.
F.T. : En effet, la mode ne devrait plus se démoder – c’est un comble – et la tendance devrait laisser place au style. La question de l’individualité se pose alors ; comment se démarquer si la mode durable amène à une uniformisation ? C’est un phénomène que nous allons observer dans les années à venir et que les magazines de mode commencent à interroger. Si cette presse en a conscience, c’est que le sillon se creuse.
F.T. : La course effrénée vers la surconsommation touchait ses limites. La crise sanitaire va peut-être accélérer la mutation du secteur, tout comme l’agro-alimentaire s’est réinventé avec les circuits courts.
L’enjeu prioritaire sera d’avoir une approche systémique et pas seulement économique. Les entreprises doivent reprendre de la souveraineté sur les filières et le consommateur sortir de cet imaginaire construit depuis 50 ans qui dit que le bonheur est d’avoir toujours plus.